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libellules littérature, journalisme et langage. … du latin libellus, diminutif de liber, petit livre, ou bien du latin libella, en raison des lignes horizontales de son vol. aller au contenu accueil a propos ← articles plus anciens infiniment wallace publié le samedi 24 octobre 2015 par libellules si tout le monde suivait ce que disent les critiques pressés, l’esprit ne serait pas toujours à la mode. d’où viendrait la charge qui annonce la parution en langue française d’un grand livre novateur et littérairement décisif ? elle ne tarda pas, elle fut même le tout premier verdict rendu, deux jours après la sortie en librairie de l’infinie comédie de david foster wallace : « un inextricable fatras, une logorrhée vasouillarde sur laquelle on pourrait gloser éternellement, sans en percevoir ni le cœur, ni la cohérence, ni la nécessité intérieure. parce qu’il n’y en a pas » ( le temps , genève, 22 août). il y a vingt ans, park avenue, à manhattan, son éditeur américain jurait vouloir l’éditer « plus que je ne veux respirer ». quand on a passé deux mois avec son roman, conseil de dfw au lecteur sérieux, on ne voit pas quoi lire à la suite. le relire. dans vingt ans, les lecteurs français ne pourront plus se priver de cette écriture. la preuve, on se souvient avec le sourire du rapport de lecture (celle du côté de chez swann ) établi pour la maison fasquelle : « après d’infinies désolations d’être noyé dans d’insondables développements et de crispantes impatiences de ne pouvoir jamais remonter à la surface, on n’a aucune, aucune notion de ce dont il s’agit. qu’est-ce que cela vient faire ? qu’est-ce que tout cela signifie ? où tout cela veut-il mener ? – impossible d’en rien savoir… la lecture n’est pas soutenable au-delà de cinq ou six pages. » proust, wallace (melville, lowry, joyce, gass, kerouac, fatras incohérent ), illisibles les rarissimes écrivains qui entraînent leurs lecteurs bien aimés au bout du langage humain, au fond du cœur du monde. dans l’infinie comédie , il n’y a pas de raccourci, mais si l’un s’égare en route (elle est longue, parfois sablonneuse), wallace retourne le chercher avec le même dévouement qu’un lawrence d’arabie dans le désert du néfoud. il lui tend une histoire de quelques pages et de ce réalisme intégral qui est la substance même de la vie. histoire dérisoire et pleine d’un humour sans bride qui est le masque de la compassion puis de l’infinie tristesse. imaginez, je ne sais pas, un récit de réfugiés tentant de traverser la méditerranée en ski nautique ou deltaplane x.ray nesswills wing modèle tzs 238. « mais si vous vous mettez à y croire, c’est que votre imagination est perturbée » (avertissement de wallace). au fait, avant de tenter la traversée de ce livre (certains avouent ne l’avoir lu « que cinq ou six fois », d’autres avoir relu à plusieurs reprises les cent premières pages « pour acquérir de la vitesse »), mieux vaudrait avaler les brèves cent-trente phrases de c’est de l’eau. à offrir aux amis et aux ennemis, une introduction aux 507.608 mots du texte original de la comédie . comment se comporter sans égocentrisme devant l’accablante folie ( overwhelming craziness ) du monde ? le poisson qui demande ce qu’est l’eau dans une allocution destinée à une promotion d’étudiants lâchés dans la nature revient page 1206, loin de la côte. mille quatre cent quatre-vingt-sept pages en français. pourquoi tant ? wallace (avec ses mots) voulait faire « quelque chose de vraiment difficile et d’avant-garde mais assez drôle pour forcer le lecteur à faire le travail demandé ». il était prof d’écriture créative, il faut lui faire confiance. jouir de ses trouvailles, de sa fluidité, de sa ponctuation, de sa compétence lexicale, de sa justesse, de ses changements subits de ton, de sa virtuosité zigzagante, de sa lisibilité, de sa visibilité : allez assister à une bagarre, pages 830-840, elle dépasse en images et mouvement ce que le cinéma (de scorcese ou de park chan-wook, si on veut) pourrait donner. de sa drôlerie et de sa réflexion permanente sur ce qui vient sous sa main. laurence sterne ( tristram shandy ) qui aurait connu wittgenstein ( « uncle ludwig » ). et les détails, jusqu’aux petits insectes piégés par la peinture, la minuscule fissure brune d’un mug, les ongles vernis de lateral alice moore (ancienne pilote d’hélicoptère, un crash l’a laissée dans un état neurologique qui l’empêche de se déplacer autrement que latéralement – comme l’écriture) : par contraste avec les bouts bleuis de ses doigts ce « sont dix petits couchers de soleil ». mille et mille de cette sorte d’observation. non, ce n’est pas plus compliqué qu’un film de david lynch ou que le roman de la rose . c’est précis jusqu’au bout de l’invention. au lecteur d’avancer vers ce que wallace veut lui faire toucher du doigt. le reproche le plus rapide porte sur les dernières 128 pages : des notes en corps 6. pourquoi assortir de notes un roman, non mais ? c’est la porte d’entrée chez wallace. il a raconté que, enfant, il entendait des voix, deux voix, un autre couple de parents, « dont le thème le plus fréquent était de m’assurer qu’il n’y avait aucune importance à ce que je les crois réelles ou venues de moi parce que – ce sur quoi une des voix insistait particulièrement – rien dans le monde entier n’était plus réel que moi. » elles lui donnaient un sentiment d’extase, comme croquer dans une pomme ou retourner son oreiller sur sa face fraîche. son père (professeur de philo) disait à sa mère (professeur d’anglais) qu’il souffrait d’une sorte d’antiparanoia « par laquelle je semblais croire que j’étais l’objet d’une conspiration universelle pour me rendre si heureux que je pouvais à peine le supporter », all that, the new yorker, 14 décembre 2009. le langage régnait dans la maison. sa mère inventait des mots ( twanger : quelque chose dont vous ne vous rappelez pas le nom). tous les soirs, avant de se mettre au lit – de bonne heure – se tenait le talk time , le temps des histoires, de la parole, avec l’un ou l’autre de ses parents visibles. eh bien l’écriture, selon wallace, c’est avoir en permanence une seconde voix dans la tête. les notes sont une partie restituée de cette voix. la pensée elle-même. la pensée, si difficile à supporter. même le crâne serré dans un bandana « pour l’empêcher d’éclater ». impulse to second-guess , essayer d’anticiper chaque pensée. a neuf ans, obsédé par la réussite en classe, il connut sa première dépression, sa première sensation d’un « infini maintenant ». sa mère : « un trou noir avec des dents ». a douze ans, david gagna cinquante dollars à un prix de poésie qui aidèrent à financer un camp de tennis. a quatorze ans, il était classé 2 ème dans le district central de l’illinois de l’united state tennis association. a quatorze ans, il lisait le phédon avec son père (le suicide de socrate). sa mère : « il engloutissait tout, just going to hoover everything » – hoover, c’est aussi une marque d’aspirateur. aussi bien la romance des mathématiques. intelligence hyperactive. trop brainy selon son biographe. trop cervelé . l‘infinie comédie ( infinite jest , ce jest de shakespeare est peu traduisible en français, divertissement au sens de giono ? le fils hugo choisissait verve, va pour comédie ) n’est pas un livre qu’il faut lire comme on descend une rivière sur la berge, les pieds au sec, jugeant de ce qui est plaisant ou rude à l’abri des courants, ça j’aime, ça je n’aime pas. il faut sauter à l’eau, faire partie du livre, se laisser emporter, découvrir combien il est fait pour être lu, pour imprégner le corps d’un être humain de la tête aux orteils. qui a appris à lire n’a pas à craindre de perdre pied. pour dfw la fiction doit montrer « ce que c’est que d’être un putain d’être humain ». rien de commun avec la littérature infinitésimale et à sec de la francosphère d’automne. l’infinie comédie , par définition, ne se résume pas, surtout pas dans les grandes lignes. en citer des extraits (genre rendez-vous compte vous-même ) est une absurdité